Par Kiyémis
Depuis quelques années, chercheur.ses et militant.es s’attachent à redécouvrir les chantres de la Négritude, ce mouvement politique, littéraire et politique qui nait au début des années 1930 à Paris. Si les figures tutélaires d’Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et Léon Gontran Damas sont celles qui sont habituellement associées à la Négritude, chercheur.ses et militant.es s’attaquent désormais à redécouvrir le rôle prépondérant qu’ont joué les sœurs Nardal, et notamment Paulette, dans la construction de ce qui va devenir l’un des mouvements politiques et littéraires les plus importants du XXe siècle.
Paulette Nardal est née le 12 Octobre 1896 à François en Martinique. Elle fut l’aînée de sept sœurs et grandit au sein d’une famille appartenant à la petite bourgeoisie antillaise.
Son père, Paul Nardal, fut le premier homme Noir à obtenir une bourse pour étudier à l’Ecole d’Arts et Métiers. Il devint le premier ingénieur noir du département des Travaux Publics en Martinique, décrocha la légion d’Honneur et reçu une lettre de Victor Schœlcher, sous-secrétaire à la Marine et député de Martinique qui a notamment permis la mise en place du décret pour l’abolition de l’esclavage en 1848. Sa mère, Louise Achille Nardal, fut quant à elle professeure des écoles et créa l’une des premières sociétés de femmes martiniquaises en 1901, la Société Saint-Louis-Des-Dames. C’est dans une famille habituée aux rencontres entre artistes et écrivains que Paulette obtient son brevet supérieur au pensionnat colonial.
Paris et “l’Eveil de la Conscience de Race chez les étudiants Noirs”
Après avoir appris l’anglais au cours d’un voyage en Jamaïque, elle vient étudier la littérature anglaise à la Sorbonne, et s’attarde sur le travail de Harriet Beecher Stowe, autrice du roman “ La Case de L’Oncle Tom”. Sur les bancs de la Sorbonne, Paulette Nardal assiste à la soutenance de thèse en histoire de Anna Julia Cooper, qui s’intitule “L’attitude de la France sur la question de l’esclavage entre 1789 et 1848 “. Anna J. Cooper devient alors l’une des premières afro-américaines à obtenir un doctorat, et la première femme noire à obtenir un doctorat en histoire à la Sorbonne.
A travers ses recherches sur l’écrivaine Stowe, la jeune Nardal tombe vite sur les auteurs de la Harlem Renaissance, ce mouvement artistique et politique célébrant le renouveau de la culture afro-américaine avec des penseurs comme le sociologue Web du Bois, des activistes comme Marcus Garvey ou l’écrivaine Zora Neale Hurston. Elle demande ainsi à traduire les textes d’Alain Locke, écrivain et mécène de la Harlem Renaissance et s’intéresse de plus en plus aux mouvements noirs d’émancipation.
L’arrivée de Nardal à Paris coïncide avec une agitation et un renouveau dans les mouvements noirs francophones et notamment parisiens. En 1919, le deuxième congrès panafricain s’est tenu à Paris avec succès grâce à l’appui du député sénégalais modéré Blaise Diagne et l’émergence d’une pensée anticolonialiste au sein de la capitale. Des soldats coloniaux sont encore sur le territoire français, et l’un d’eux Lamine Senghor est très critique de la politique coloniale française, et de la situation du racisme en France. Il fera ainsi parti des fondateurs de l’une des premières associations, la Ligue de Défense de la Race Nègre. Au même moment, la création de revues axées sur les questions des afro-descendants explose dans l’entre-deux-guerres avec notamment la Voix des Nègres, Le Cri des Nègres, Les Continents, La Dépêche Africaine…
Une passeuse d’histoires
C’est dans ce contexte que le rôle de Paulette Nardal est capital. Ses études sur la littérature anglaise, puis le fait qu’elle soit devenue professeure d’anglais lui permettent de traduire les textes de penseurs Noirs-Américains et de les diffuser dans un cercle d’activistes, militant.es et intellectuel.les assez large, qui vont du militant anticolonialiste comme Lamine Senghor à certaines femmes blanches féministes de l’époque.
Elle se met à tenir salon les dimanches à Clamart, et s’y mélangent des personnes comme Alain Locke, René Maran, le premier écrivain noir à avoir eu le prix Goncourt pour son roman Batouala ou encore Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire, encore étudiants à l’époque. C’est à cet endroit qu’ils peuvent ainsi écouter et lire des textes sur le panafricanisme de Garvey par exemple. C’est aussi dans ce salon, où se pressent un petit cercle d’Africains, Antillais et Afro-américains que les liens qui permettent la pratique du panafricanisme se solidifient.
Césaire et Senghor ont repris les idées que nous avons brandies et les ont exprimées avec beaucoup plus d’étincelles, nous n’étions que des femmes ! Nous avons balisé les pistes pour les hommes.
Paulette Nardal, poursuit son travail de transmission : première journaliste Noire française pour le journal Le Soir, elle écrit pour la Dépêche Africaine. En 1931, elle crée ensuite la Revue du Monde Noir avec Léo Sajous, un universitaire haïtien qui se spécialise sur la question du Libéria. Cette revue bilingue français-anglais a pour but “d’étudier et de populariser via la presse, tout ce qui a un rapport avec la civilisation nègre”. L’une des idées fondatrices est de permettre une connexion via la presse des Noir.es du monde entier, et de vanter les apports des Noir.es aux civilisations humaines. C’est dans cette revue qu’elle écrira en 1931 l’un de ses textes les plus importants “ L’Eveil de la Conscience de Race chez les Étudiants noirs”.
Éminemment politique, Paulette Nardal se place néanmoins du côté des Noir.es réformateur.trices. Critique de la guerre coloniale en Ethiopie dans les années 30, elle a cependant hérité de son père un profond attachement à la nationalité française et fait partie de ceux qui ne critiquent pas l’exposition coloniale de 1931. Ceci explique aussi pourquoi, lorsqu’elle est revenue en Martinique en 1939 à la suite d’un grave accident en mer, elle a participé à la Dissidence. Ce mouvement de la résistance antillaise, dont ont fait partie Suzanne Roussi-Césaire et son époux Aimé Césaire, qui a soutenu la résistance menée par Charles de Gaulle en apprenant aux jeunes antillais qui voulaient rejoindre Londres à parler anglais.
De retour en Martinique, elle a aussi suivi les pas de sa mère en créant un groupe de femmes, et en publiant l’essai “ La femme dans la cité” : s’adressant aux femmes bourgeoises antillaises de son milieu, elle les invite à s’investir dans la vie publique et politique en prenant part aux problèmes sociaux qui lui paraissent les plus graves, la prostitution notamment et l’alcoolisme.
Bien qu’inconnu du grand public, l’apport de Paulette Nardal au mouvement de la Négritude et plus généralement au “Tumulte Noir” qu’a connu Paris pendant toute la période de l’Entre Deux Guerres est indéniable. Une pétition a été lancée par les Clubs Soroptimist Martiniquais pour faire entrer Paulette Nardal au Panthéon. Cet acte témoigne d’une volonté de célébrer l’histoire et les accomplissements des femmes Noires. L’absence de ces récits dans l’histoire des mouvements d’émancipation noirs.es est à déplorer et souligne une invisibilisation constante des femmes noires dans l’Histoire.