Les violences policières, symbole du racisme d’Etat

Marche Adama Traoré
Le comité Adama Traoré, a organisé une marche le 22 juillet 2017 à Beaumont-sur-Oise à l’occasion de l’anniversaire du jeune homme

Malik Oussekine, Ali Ziri, Lamine Dieng, Amadou Koumé, Amine Bentounsi... Depuis des années, plusieurs dizaines de personnes sont mortes suite à des altercations avec la police dans des circonstances floues. La plupart sont noires ou arabes, ce qui est loin d’être dû au hasard.

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Samir Elyes milite dans les quartiers populaires depuis 1997. Depuis le jour où dans sa ville à Dammarie-les-Lys, Abdelkader Bouziane âgé de 16 ans fut tué d’une balle dans la tête par un policier. « En 97, on était dans un contexte de violence extrême venant de la police. Y’a eu l’affaire Fernandez (Fabrice Fernandez) à Lyon tué par une balle de fusil à pompe en pleine tête alors qu’il était en garde-à-vue, y’a eu Dammarie, en 98 y’a eu la mort de Pipo (Habib Ould Mohamed) à Toulouse tué d’une balle dans le ventre ».

20 ans après subsiste la sensation d’un éternel recommencement. En novembre dernier, Nicolas Manikakis est tué d’une balle par la police à Thonon-les-Bains, Massar D., jeune espagnol d’origine sénégalaise est décédé à la gare du Nord à la suite d’un contrôle, l’enquête est toujours en cours. A Mantes-la-Jolie, un homme est gravement brûlé aux mains lors d’un contrôle et dit avoir subi des insultes racistes. En décembre, Sélom et Matisse, deux jeunes hommes meurent après avoir été percutés par un train à Fives, un quartier de Lille. Leurs amis qui les accompagné ce jour-là disent avoir couru pour échapper à un contrôle de police.

Depuis des années, plusieurs dizaines de personnes sont mortes suite à des altercations avec la police. De nombreux rapports associatifs et institutionnels dont ceux d’Amnesty International de 2009 et de l’ACAT (Action des Chrétiens pour l’abolition de la Torture) publié en mars 2016 font un même constat : les cas concernent le plus souvent des jeunes hommes de type « maghrébins » ou « noirs ».

Pour Ramata Dieng, sœur de Lamine Dieng tué par la police en 2007, le caractère racial dans la mort de ces personnes est clair. « Il suffit de regarder la liste des victimes, et on s’aperçoit que les noirs, les arabes et les rroms sont surreprésentés par rapport à la population globale en France. […] Ce sont les cibles privilégiées des contrôles au faciès qui débouchent dans certains cas sur des blessures, des insultes, des humiliations et à la mort. Les noirs et les arabes sont 6 à 7 fois plus contrôlés que les blancs. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est l’enquête du CNRS ».

Dans la nuit du 30 avril 2016, Marie-Reine est agressée par deux policiers. Pendant un an, elle n’a trouvé aucune aide autour d’elle dans la région d’Agen. Désormais accompagné par un comité de soutien, une réunion d’information Justice pour Marie-Reine a été organisée à Paris en novembre 2017. Fatima Ouassak, du Réseau Classe/Genre/Race y affirmait : « [Dans ces affaires] On retrouve le même schéma autour de la couleur de peau, du territoire, systématiquement des minorités ». « Ce ne sont pas des histoires indépendantes les unes des autres, c’est un système de racisme structurel ».

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Boyenval, Beaumont-sur-oise
Dans le quartier de Boyenval dont est issue la famille Traoré, à Beaumont-sur-Oise, une banderole, a été érigée en souvenir des personnes mortes dans des affaires liées aux forces de l’ordre
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De « l’invasion » coloniale aux « sauvageons de banlieue »

Le chercheur Mathieu Rigouste a analysé les liens entre les pratiques de la police dans les quartiers populaires et l’héritage de la colonisation. Il explique dans l’Humanité du 15 janvier 2013 : « Dans les années 1930, il existait une police des colonisés en métropole. La brigade nord-africaine (BNA) quadrillait les « quartiers musulmans » de Paris, y opérait des raids et des rafles, et alimentait des fichiers de surveillance politiques et sociaux. La BNA a été dissoute à la Libération en raison de son caractère explicitement raciste. »

A cette époque, l’imaginaire colonial est diffusé dans « la grande presse, la carte postale, les affiches, les expositions coloniales, les « villages noirs » tels qu’on les appelait alors, les bandes dessinées pour enfants, les manuels scolaires, … »[i]. Cette propagande raciste a forgé l’image des populations colonisées dans le regard des français. Dans l’entre-deux-guerres, des travailleurs issus des colonies migrent vers Paris. L’ouvrage Paris-Arabe du groupe Achac témoigne de la xénophobie ambiante : « Grossissant ces chiffres la presse titre sur « l’invasion » de la capitale, les « quartiers-ghettos » et la « pègre dans la ville ».[ii] Les travailleurs nord-africains sont jugés « fourbes » ou « sauvages ».

Lors de la manifestation du 14 juillet 1953, la police ouvre le feu sur le cortège du MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), organisation militant pour l’indépendance algérienne, 6 ouvriers algériens et un ouvrier membre de la CGT sont tués. 8 ans plus tard, la répression du 17 octobre 1961 va faire entre 38 et une centaine de morts selon les estimations. Durant toute la période coloniale, la France va commettre de nombreux massacres envers les populations « indigènes »; au Cameroun, à Madagascar ou en Guadeloupe par exemple, et sur son propre sol.

D’hier à aujourd’hui, il apparaît clairement que l’usage de la force est accepté par l’institution française contre certaines parties de sa population. Que les vies de certaines personnes valent moins que d’autres. La rhétorique sécuritaire médiatique et politique a largement contribué à cet état de fait. Les jeunes des quartiers populaires et les descendants d’immigrés sont assimilés à des ennemis de l’intérieur. Toujours par Mathieu Rigouste « Dans les commissariats de banlieue, certains anciens des BAV participent à la création « brigades spéciales de nuit », qui donneront ensuite naissance aux BAC d’aujourd’hui. De la BNA aux BAC, en passant par les BAV, c’est le même schéma de ségrégation raciale qui prévaut. »

En novembre 2016, la cour de Cassation a donné raison à plusieurs victimes de contrôles au faciès, rappelant qu’« un contrôle d’identité fondé sur des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable, est discriminatoire : il s’agit d’une faute lourde ». Un an après cette décision de justice, aucune remise en question, aucune disposition n’a été prise par le gouvernement concernant les contrôles à caractère discriminatoires.

Les familles des victimes Curtis, Lamine Dieng et Babacar Gueye

Un rapport de force médiatique

Peut-être est-ce dû au fait que les moyens de communication facilitent la circulation des informations ou que les victimes ont moins peur de se faire entendre qu’auparavant. Toujours est-il que les discours des victimes et leurs familles sont de plus en plus audibles. Le rapport de force est aujourd’hui médiatique. Les réseaux sociaux ont permis aux familles et militants de mobiliser le grand public sur un temps long et de suivre les procédures. « Ce sont les seuls médias à notre disposition pour communiquer avec le plus grand nombre, ils facilitent la diffusion de l’information. Les grands médias nous boycottent » témoigne Ramata Dieng.

Déjà présent pour soutenir la famille Dieng à la mort de Lamine en 2007, Franco de la Brigade anti-Négrophobie était à l’initiative d’un rassemblement dans Paris en décembre 2017 pour mettre en lumière la mort par asphyxie de Massar D. « La manifestation a permis de vulgariser l’affaire, France 3 en a parlé, des médias mainstream qui ne sont pas forcément de notre côté ont parlé de l’affaire. Maintenant, on sait que cette affaire existe. ».

Lorsque les victimes et leurs familles se mobilisent et réclament justice, elles sont régulièrement criminalisées. « Le but ce n’est pas de connaître Massar ou pas, quand bien même il vendrait de la drogue, la loi est là pour tout le monde et la police n’a pas à rétablir la peine de mort. ». Il y a près de 20 ans, c’était le même processus qui accompagné les militants de Dammarie-les-Lys rapporte Samir Elyes. « Très vite, on s’est aperçu que ce qui était mis en place, c’était pour sauver le policier. On condamnait, criminalisait plus celui qui était mort, que celui qui avait tué. […] Quand on s’est constitué en comité après la mort d’Abdelkader, on a fait une enquête qui a permis à ce que Libération titre « Les policiers rattrapés par leurs mensonges ». Si on ne fait pas ça, les médias reprennent les versions officielles ».

Les familles se retrouvent alors engagées dans un combat médiatique. Mené par Assa Traoré, le comité Adama est un de meilleurs exemples selon lui. « Le comité Adama a construit un discours et l’a imposé aux médias. Aujourd’hui, tout le monde sait qu’Adama a été tué, et c’est bien ces gendarmes qui l’ont tué. Ce n’est pas la drogue, ni autre chose. ».

Dans ce long combat pour la justice, il ne subsiste que peu d’autres moyens de lutter pour les familles de victimes. Ramata Dieng fustige le manque de réaction de l’Etat français malgré les nombreux femmes et hommes décédés dans des circonstances similaires face aux forces de l’ordre. « Ce n’est pas une nouveauté en France, ça fait des décennies que ça existe. Les concernés n’ont jamais cessé de dénoncer ce phénomène. Malheureusement, la voix des victimes n’a jamais été entendu, ni par la population, ni pas les gouvernements successifs. ».

Elle souhaiterait que la population puisse se mobiliser pour que cessent les violences policières à l’encontre des minorités. « Tous les appareils de l’Etat font corps, sa police, sa justice. Il reste la société civile, et c’est chacun d’entre nous. C’est ce qu’on fait depuis plus de 10 ans, et il y en a d’autres depuis 15, 20 ans et plus. La solution, c’est de s’unir pour instaurer un rapport de force suffisamment puissant pour que l’Etat écoute et soit obligé d’appliquer la loi ».

« La police est toujours protégée et quand on lui donne les pleins pouvoirs pour sanctionner et user de la force disproportionnée, c’est une manière de nous museler, de dire « votre parole ne pèsera jamais » » ajoute Franco. « On doit sortir dans la rue, on doit agir en contre-pouvoir pour leur faire savoir qu’ils devront prouver par des faits et des preuves si ce qu’ils avancent est vrai. C’est un devoir citoyen. »

[i] Sandrine Lemaire, « L’esclavage dans l’imaginaire colonial », Africultures, 2006/2 n° 67, p. 45-50.

[ii] Paris-Arabe, Présence des Orientaux et des Maghrébins dans la capitale, Groupe de recherche Achac – Un siècle d’immigration des Suds en France, Editions La Découverte, 2003

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