Samir Elyes milite depuis plus de 20 ans dans les quartiers. D’abord parti des violences policières, son engagement s’est élargi après sa rencontre avec le MIB (Mouvement de l’Immigration et des Banlieues). Il partage avec nous ses expériences, l’héritage des luttes passées et l’importance de la force locale.
Peux-tu revenir sur les débuts de ton engagement ?
En 97, on était dans un contexte de violence extrême venant de la police. Y’a eu l’affaire Fernandez (Fabrice Fernandez) à Lyon tué par une belle de fusil à pompe en pleine tête alors qu’il était en garde-à-vue. Le 17 décembre 1997, Abdelkader Bouziane, un jeune de 16 ans de Dammarie est abattu d’une balle dans la tête par la BAC. En 98 y’a eu la mort de Pipo (Habib Ould Mohamed) à Toulouse tué d’une balle dans le ventre.
Par la suite, on n’a pas lâché. On a rencontré le MIB qui nous a formé à rester sur la continuité. En règle générale, dans les quartiers après les émeutes ça s’arrête. Les émeutes, c’est pas une fin en soi, y’a l’après aussi. Par exemple, une famille qui perd un enfant tué par la police, ça ne dure pas 4 jours. Ca dure des années, y’a tout un dossier d’instruction qui va être mis en place, une enquête, etc.
Et très vite, on s’est aperçu que ce qui était mis en place, c’était pour sauver le policier. On condamnait, criminalisait plus celui qui était mort, que celui qui avait tué. On n’était pas militant, et ça nous a surpris. « Comment ça ! C’est un enfant qu’ils ont tué! » 16 ans, c’est un enfant.
Comment été constitué le MIB ?
Le MIB, c’est un mouvement politique qui cherchait à aider les gens à travers l’éducation populaire. Il formait des gens à retourner dans leurs quartiers pour militer avec ceux qui souffrent. C’est ce qu’on nous a appris, tu milites avec ceux qui souffrent. Que ce soit dans les violences policières, la rénovation urbaine, l’éducation, toutes les problématiques qui nous touchent dans les quartiers.
Le MIB ne veut pas avoir de petits, c’est ça le paternalisme en fait. Chaque quartier a sa spécificité. C’est pour ça qu’à Dammarie, on s’est pas appelé MIB mais Bouge qui bouge, malgré le fait qu’on a été formé et qu’on milite avec le MIB.
Le mouvement nous a appris à nous organiser, à nous parler, à se parler dans le quartier.
La où il a été efficace, c’est qu’il a réussi à créer ce réseau d’entraide qui faisait qu’on pouvait se déplacer à Lyon, à Montpellier, à Toulouse pour s’entraider les uns les autres. C’est ce qui nous a permis de construire ces réseaux, ces amitiés et surtout des rapports de force.
« Qui a obtenu des victoires comme le MIB, comme le MTA (Mouvements des Travailleurs Arabes) ? Nous on n’a pas encore laissé de traces comme nos aînés en ont laissé »
Qu’est-ce que tu appelles l’éducation populaire ?
C’est créer des espaces de discussion avec les gens, pour essayer ensemble de voir ce qu’il se passe en premier lieu. En deuxième temps, c’est qu’est-ce qu’on fait ensemble pour améliorer le quotidien des habitants. L’éducation populaire, ça peut être culturel, politique ou sportif. C’est ce qu’on a réussi à faire à Dammarie pendant 10 ans, mais aussi à Montpellier, à Toulouse.
Quelles solutions concrètes peuvent être mises en place pour améliorer les conditions de vies dans les quartiers ?
On parle d’autonomie, d’indépendance, d’émancipation. Beaucoup d’entre nous se disaient « on peut rien faire ». On n’est pas obligé d’attendre des politiques pour améliorer le quotidien des habitants. Si on se met d’accord, si on s’organise entre nous, on est fort. On est capable d’installer des rapports de force sur le long terme au niveau politique.
La solution est simple, c’est faire avec les habitants du quartier. Si tu fais avec les habitants, tu réussis. Tu obtiens des victoires politiques.
Suite à l’enquête qu’on avait fait après la mort d’Abdelkader (Bouziane), Libération titrait « Les policiers rattrapés par leurs mensonges ». Si on ne fait pas ce travail là, les médias reprennent les versions officielles.
Un exemple concret, c’est ce que la famille Traoré a très bien compris : faire avec les habitants, avec les amis d’Adama. Et ils ont obtenu des victoires politiques, ils ont réussi à démonter la version des gendarmes, et les mensonges du procureur Yves Jannier.
Ce qui fait qu’aujourd’hui la répression est totale et énorme avec l’emprisonnement des frères d’Adama : Bagui et Yacouba.
Pour toi le plus important c’est le local ?
Moi j’y crois plus à un véritable mouvement, on a déjà essayé y’a 10 ans, y’a 20 ans, on va pas se voiler la face. Aujourd’hui, ce qui marche c’est le local, c’est l’éducation populaire que t’arrives à installer là où t’habites.
C’est la seule solution que l’on a face aux violences policières, à la rénovation urbaine, aux 150 000 jeunes qui quittent l’école par an. Je crois en la force locale, c’est ce qui a fait la force de Beaumont, ils ont fait avec les Beaumontois, avec le quartier de Champagne, avec le quartier de Persan. C’est-à-dire, des gens qui se sont côtoyés depuis tout petits.
Faut que les quartiers se fassent confiance, y’a une histoire. Notre solution est là, c’est s’occuper des habitants. C’est simple dit comme ça, mais quand il faut le faire pendant des années, c’est dur.
« Je rigole des fois, je leur dis bientôt on va se battre pour l’indépendance des quartiers »
Qu’est-ce que tu penses des mouvements de quartiers qui se présentent en politique de manière plus traditionnelle comme aux élections municipales par exemple ?
Y’a plusieurs manières. Y’a l’autonomie et l’indépendance, c’est-à-dire se présenter avec les gens avec qui t’as marché depuis des années, pour constituer une liste indépendante et autonome, ça oui.
Mais entrer dans des partis, c’est du pipi de chat. Depuis quand on change les choses de l’intérieur, toi tout seul ou n’importe qui. Dans le Parti Socialiste, est-ce qu’on croit qu’on va changer les choses ? Jamais de la vie. Pour moi, c’est des intérêts, pour de l’argent, pour la reconnaissance, c’est pour exister en fait. Mais exister tout seul. Moi, on m’a appris à faire les choses collectivement.
Est-ce que tu ne penses pas qu’il y a eu un manque de transmission des luttes ?
On a une part de responsabilité dans ça. On n’a pas fait ce travail, on n’a pas transmis cet héritage. On était tous les jours sur le terrain, à aider les gens, créer du réseau. Et la précarité dans laquelle on était à l’époque n’est pas la même qu’aujourd’hui. Faut pas oublier ça.
Nous, on n’avait pas les réseaux sociaux. On a mis en place un média, des archives. On a réussi à créer un réseau à peu près partout en France.
Pour finir, est-ce que tu peux nous donner quelques exemples de victoires politiques obtenues par les luttes ?
A Montpellier, dans le quartier du petit bard y’a un exemple, c’est le club de Futsal qui est en ligue 1. C’est un club auto-géré par les gens du quartier.
En 1991, à Mantes-la-Jolie, Aïssa Ihiche qui été asthmatique, meurt à la suite de coups reçus en garde à vue. Si aujourd’hui on peut bénéficier d’un médecin et d’un avocat à la première heure de garde à vue, c’est grâce à la mobilisation de la famille Ihiche et des militants issus de l’immigration. On est fier. Faut se remettre le contexte où on était dans les années 90, fallait le faire. Quel groupe ou mouvement a obtenu une victoire comme celle-là ? Qui a obtenu des victoires comme le MIB, comme le MTA (Mouvements des Travailleurs Arabes)? Nous on n’a pas encore laissé de traces comme nos aînés en ont laissé.